Le grand vide
Par Alain Cloutier

Il doit maintenant être plus de 23h00. Dehors, une fine pluie glacée tombe, rendant la vie encore plus misérable, arrêtant net tout début de bonne humeur ou d'espoir. Je suis depuis trop longtemps dans mes études, mais je n'ai pas le choix: demain sera la date fatidique, l'apothéose de la déprime: mon examen final. Je me perd dans de futile rêvasseries, en voyant le temps me filer entre les doigts, en sentant monter le stress sous forme de boule, ou plutôt d'étau, qui me broie par en-dedans.

Je trouve un peu étrange que depuis trois ou quatre heures, lorsque je regarde dehors, je n'y vois personne; pas même une voiture! Mais je ne m'y attarde guère, supposant que c'est normal. C'est là mon erreur!

Plusieurs heures et pages plus tard, je m'endors involontairement sur mes livres, ne pouvant résister au sommeil qui m'assaille avec tant d'ardeur. Après un court sommeil troublé par d'étrange rêves, je me réveille en sursaut, regarde le réveil matin (8h27) et me rappelle que mon examen débute à 8h30. Je me lève avec un tel empressement que ma tête cogne la lampe au-dessus de mon lieu de torture mentale, puis je trébuche dans une pile de livres et m'étend de tout mon long sur le sol de ma chambre en me recognant fortement la tête, cette fois sur le coin de mon bureau. Je me relève, furieux et infiniment stressé. Pourquoi ça n'arrive qu'à moi des conneries pareilles?

Je ne prend évidemment pas le temps de prendre ma douche ou même de déjeuner. Je cours vers l'université, mettant mon chandail en chemin. J'halète comme un déchaîné, traversant les rues sans même regarder s'il vient une voiture. À ma surprise, mais je ne m'y attarde pas le moins du monde, aucune voiture ne klaxonne; aucun conducteur assoiffé du vengeance ne me crie des paroles obscènes. Rien. Pas un bruit, pas un son. Pendant que j'enjambe les quelques centaines de mètres qui restent, je mets l'absence de bruit sur le compte de mon stress, qui doit me boucher les oreilles et m'alourdir le cerveau.

Arrivé dans la faculté, je ne m'étonne pas non plus de ne trouver personne dans les corridor: les cours sont déjà commencés. J'ouvre la porte de ma salle d'examen; personne. Ils doivent sûrement avoir changés de local et je n'ai pas été averti! Quand tous va mal... Je fait le tour de tous les locaux et ne trouve pas les gens de mon groupe. Pire que ça, je ne trouve personne! La première chose à laquelle je pense, c'est que je me suis trompé de jour, que nous sommes la fin de semaine, donc c'est normal qu'il n'y ait personne ici(solution que je souhaite de tous mon coeur). Malheureusement, nous sommes un jour de la semaine, un mercredi en plus. Je le sait car j'ai eu mon cours du mardi hier.

Je sors de la faculté; seule la pluie anime ce triste paysage. Je retourne chez moi et essaie de téléphoner, pour savoir ce qui se passe. Au bout du fil, personne ne répond. Le sonnerie se fait entendre, mais personne ne décroche. Un début d'angoisse s'empare de moi. J'allume la radio: rien que du grésillement; même chose pour la télé. Je me dis que tant qu'à rester seul, je vais en profiter un peu pour étudier un peu, au cas où l'examen aurait été reporté. J'ouvre mon livre. Devant moi se présente des pages d'une blancheur immaculée, sans aucune trace d'encre! Pourtant, je l'ai lu hier! Pendant que je repense à ce que j'ai lu hier, je visualise le livre comme il était. À ma grande surprise, à mon étonnement extrême dirai-je, lorsque je m'ouvre les yeux, les pages du livres ont réapparues!

En évitant de justesse de mettre le pied dans l'abîme que plusieurs appellent la folie, j'essaie de comprendre quelque chose à la situation, à prendre du recul face à ces événements pour le moins troublants. Je fais un essai pour voir si mon idée se confirme ou ce n'est que pure fabulation. Je visualise, en me fermant les yeux, une voiture que j'ai vu hier soir, vers 10h30. J'ouvre les yeux et me dirige vers la fenêtre. Je l'aperçoit, roulant tranquillement, son conducteur ne se doutant de rien. Je ferme les yeux à nouveaux et imagine, dans un excès de sadisme, la voiture qui dérape, puis prend feu. Je ne me prend pas réellement au sérieux, quand, dix secondes plus tard, j'entends un cri horrible, quasi inhumain ainsi qu'un bruit de métal froissé. Un immense frisson me parcoure l'échine, ébranlant tout mon être; mon coeur veut sortir de ma poitrine. Ce bruit, je sais d'où il provient; je n'ai même pas besoin de regarder.


Septembre 1992