La sinuasitation de mon réveil
Par Alain Cloutier

ATTENTION: Ce texte peut causer l'épilepsie

Lorsque je m'éveille dans un bain de pensées abstrato-concréto-positives, je prends le temps d'écouter un bon bol de céréales. Je me dis que ça va passer, qu'il fait ça seulement pour me narguer. En fait, il m'exaspère, ce bol de céréales, chantant à tue-tête une balade médiévale en se faisant accompagner à la cithare par le yogourt "Bruits au fond". Comme j'aurais voulu les imiter et, à la fois, les manger. Je demande alors conseils à ma pinte de lait, qui me répond d'une voix rance faussement indignée: "Que vas-tu faire lorsque l'automne t'enveloppera dans son coloré phytomanteau jusqu'à ce que tes pieds ne touchent plus le sol?»

"Que de philosophie!" pensai-je sur-le-champ-de-blé. Lorsque les scarabés rose-citrons me tirent du lit, je sais que la situation devient plus sérieuse, moins alarmiste, mais autant paradisiaque. Je crois penser quand une mouche doré survole mon épaule dénudée de toutes pensées obscènes, de tous vices de fabrication cachés par des nuages trop molletonnés comme une couverture trouée par une chaude nuit d'hiver, et qu'elle se dépose sans intérêts dans mon oreille pour me dicter mon zéro de conduite avec identification de la race, de l'âge ainsi que du sexe politique. Un doute m'envahi, me transporte dans un monde d'incertitudes froides et logiques, me laissant pantois dans une ambiance spleenétique. Je frémis à son approche, mes lobes d'oreilles se couvrent de sueur, mon coeur bat à l'unisson avec mon autre coeur, mes muscles se contractent, ma gorge s'assèche, mes yeux s'agrandissent; bref, l'amour du matin frappe à ma porte pour la première fois depuis ma dernière incarnation en schiste sériciteux, dans ma phase minérale sans adjuvants. Nous sommes le matin, de merveilleuse heure, j'en conviens et en suis fort aise, mais ce n'est pas une raison pour ignorer l'amour; ce sentiment aussi blanc que vulnérable, aussi pur que du Tide sans phosphate.

Non, ce n'est pas parce que je chante souvent des chants grégoriens dans une langue que j'ignore que je suis moins vulnérable aux sentiments que les pastilles, ou même les parapluies peuvent avoir. Non, je dirais que plus une pomme est ferme, moins j'ai à songer à la façon de m'y prendre pour aborder une cigale coquette dansant sur un rythme effréné une valse lente et gracieuse dans une phase de marée cérébrale. «Tu danses sur mes pensées comme une étoile dans le firmament de ma vie tumultueuse et anodine. Tu éclaires spirituellement mes nuits, m'empêchant ainsi de fermer l'oeil pour sombrer dans mon univers froid et solitaire. Tu représentes l'étoile qui me guide vers des océans azurés de volcaniques passions, dont l’étreinte céleste nous plonge dans d'incommensurables beautés, qui n'ont rien à voir avec les abominables plaisirs sans saveur que chaque humain subit au cours de son abyssale existence. En un mot, l'éclat de ton corps éthéré plaît à mes yeux, à mes caresses, bref, à tous mes sens, excluant le sens unique ou interdit. "Ouf!" onomatopai-je, "Que d'envolées lyriques!" soupçonnai-je, dans mon branle-haut de combat sentimental de tendresse et de volupté à en plus commencer. Je me sentais hasardeux de lui demander cela, mais il fallait que je le fasse. Lui demander si son âme était deux m'était directement difficile. Il fallait que je trouve une manière détournée d'arriver à mes débuts avec cette âme soeur, ce corps astral opposé jumeau, formant pour ainsi dire la pièce manquante du puzzle à deux pièces.

J'optai pour une approche subtile et translucide. Je l'invitai alors dans un endroit où les rêves des uns défilent devant les yeux ébahis des autres; dans un grand amphithéâtre où les combats des glorieux gladiateurs sont remplacés par des projections de l'imaginaire concrétisé de certaines personnes qu'on nomme réalisateurs.

Ayant déjà eu vent depuis un temps indéfini de l'apprentissage des choses de la vie, je savais alors qu'il fallait entreprendre la séquence d'événements comme mentionnée dans une "chanson" des nouveaux gamins dans le quartier: "Steppe baille steppe de Russie". Ne voulant pas brusquer la destinée, évitant de froisser son aura empreinte d'une féminité volubile, je décidai de lui offrir une visite guidée gratuite de mon polyvalent et multicolore univers par l'intermédiaire d'un sylvo-médium d'utilisation courante: le papier. Les résultats espérés se verront dans les sinuasitations respectives de nos cordons d'argent. J'ai bon espoir...


Octobre 1993