Voyage à droite du néant
Par Alain Cloutier

Maugréant sur l'utilisation erronée de la répartition temporelle qui affectait impudiquement mon quotidien, je ne m'arrêtais guère aux simples présages de bonne fortune. Mon regard éteint s'anima subrepticement en apercevant une anomalie bureaugénétique jonchant mon lieu d'élaboration mentale de ses milles feux. L'anomalie en question devait poindre depuis peu pour être affublée d'un si choquant profil. Ses appendices verticaux semblaient défier le néon morne et terne, lui reprochant sa blancheur immaculée. D'usage inconnu, cet amas cohérent et disgracieux de molécules de polymères réticulés narguait la gravité, l'esthétisme et les plus primitifs préceptes moraux.

Craignant un instant que ma pureté d'âme quasi virginale soit prise à défaut, je le semonçai crûment, oubliant la désinvolture éminente avec laquelle je franchissais habituellement les obstacles puérils courants. Mais ceci, cette ignoble chose, n'était guère inscrite dans une des vraisemblables catégories qui ont le droit d'exister et encore moins de comparaître devant mes yeux critiques. C'en était trop. Rassemblant mon courage à deux phrases, je lui assenai un coup de maxime: "Mieux vaut ne pas exister que de me déplaire!". Je cru percevoir un frémissement. Je réitérai la menace de deux sous. Pour seule réponse, comme si mon cerveau était capable de supporter tant d'illogisme, un panneau s'ouvrit dans le xénomorphe détesté et me présenta un parchemin étayé de multiples caractères graphiques stylisés signifiant: " Ouvre la porte-patio" (je dois spécifié ici que j'habitai au huitième étage). N'écoutant que mon irrationalisme, je me précipitai vers ce lieu de prédilection pour prédiction fortuite. Je fis coulisser le dernier rempart qui me séparais encore de l'abîme de la folie, espérant y trouver prérogative à la logique froide et sécurisante.

Telle ne fut pas ma surprise lorsque mon doute se confirma de façon trop convaincante. Devant moi défila un interminable couloir au bout duquel était apposé un écriteau en une langue que j'ignorais: "Viens, nous t'attendons!". Oubliant tout lien avec la santé mentale (si telle existait), je quittai mon appartement, ne prenant nul soin de poser des petits cailloux blancs sur le sol, à intervalles réguliers.

Je marchai pendant des milliers de millisecondes avant de m'apercevoir que je n'avais plus de corps physique; horrible, puis pragmatique sensation. Je pris conscience, en perdant de vue mon appartement, que ce que je pris pour un couloir n'était en fait rien de plus qu'une simple vibration symbolique d'un lieu virtuel conscientisé par mon intellect momentanément convoité par les hautes sphères de mes fabulations imaginaires matérialisées. Rien de plus simple... Ayant compris et assimilé la cause de ma vision, la prochaine étape serait de découvrir le but ultime de mon aversion pour les xénomorphes plastifiés: tout un contrat!


Juillet 1992