La douleur par la douleur
Par Alain Cloutier

Par un bel après-midi de pleine lune, je parti, moi et mon ombre basané, vers les chemins d'une vie meilleure, donc, chez le chiromancheur. J'arrivai à sa porte, qui, en guise de salutation, s'ouvrit toute grande à moi. Je n'espérais pas tant d'hospitalité, surtout venant d'une porte que je ne fréquentais pas intimement. Je m'engagai alors dans un interminable corridor au bout duquel j'apperçu un être étrange, sournois et sûrement mal intentionné: la réceptionniste.

Je lui présentai mes humbles excuses, moi qui la dérangeait en plein milieu d'un match de lutte gréco-asiatique avec ses faux cils, qui lui retombaient sur ses épaules nudées. Je lui exposai au tableau, avec exemples et axiomes à l'appui, la raison de ma traversée jusqu'à elle en élaborant et en dissertant à volonté sur mon nom ainsi que sur âge.

Après deux heures avançées de l'est, trois reprises au ralenti, deux boites de calmants à saveur de menthe et après avoir relu le script cinq fois, elle comprit que mon prénom venait avant mon nom de famille, que les chiffres de mon âge ne pouvaient pas s'inverser, et que son mascara coulait affreusement lorsqu'elle pleurait.

Doucement, je lui demandai alors poliment de simplement m'introduire discrètement à son patron fulminant, le chiromancheur ventripotant. Lorsque, à la dure labeur de maintes explications avec sa réceptionniste et à l'usure de ma carte de crédit Canadian Tire Gold , le patron, le gros bonnet, le Big Brother, le chef, le Chaman, le Batman et Robin tout-en-un, m'appelait enfin, ce fut sans confusion possible, par mon âge qu'il m'interpela nasalement dans son sanctuaire morbide, encensé de mortes pistaches. Je dis sanctuaire, car je trouvai que ce chiromancheur avait une tête à embaumer.

J'entrai, dis-je bien, dans son sanctuaire, au milieu de douzaines de chats étirés, de milions de bandes élastiques ramollies, ainsi que d'instruments de torture qui furent joyeusement en vogue pendant l'inquisition espagnole. Ici et là, surtout là je crois, gisait les restes de quelques-uns de ces anciens clients, ces cactus bleu-lime, gémissant en souffrant dans leur urinoir natal. Que de tristesse et de compassion m'animèrent à l'instant.

Me prenant par surprise (pas par derrière, une chance pour moi!), il me serra la main, me soulageant du coup de ma crampe dans la cheville gauche. Oh! m'écriai-je intérieurement, voilà un Hêtre qui connait son Bouleau! Il me répondit, aussi intérieurement que sa consience le lui permettait, qu'il fallait que je lui fasse confiance, qu'il avait étudié deux longues semaines (jours fériés y compris!) avec les plus grands maîtres Vaudou de Brossard et des environs. Si telles sont ces qualifications, alors que dire de plus, que rejouter, qu'amonceller; avançons vers l'inconnu (l'inconnu en question était chauve, verdâtre et flottant, mais il m'inspirait maintenant une charismatique confiance).

Il me fit allonger sur une table, qui pendouillait mollement sur le plafond, au ras du mur. Elle était stabilisée par un escalier en colimaçon partant du mur du fond et s'étalait de toutes ses blanches spirales jusqu'à la moquette de moutons semi-vivants gisant sur le mur délicieusement et rapidement bleuté, à quelques 9 kilomètres sur ma droite. Je m'allongai (ou plutôt, pour évité toute confusion en ces lieux élastophiles, je me suis étendu) sur le rebord de cette magnanime, plantureuse, volubile et vaporeuse table. J'étais à peine endormi quand je sentis de petites pressions sur mes côtes flottantes et dérivantes vers le large, un peu comme si un nain, oh, excusez-moi!, comme si une personne verticalement différente donnait des coups de pieds sautés aux champignons dans la poêle de mon crâne, en passant par les côtes, bien entendu!

Je revins à ma réalité et remarquai, non sans rire et me frapper la tête sur le coccyx, qu'il commença à me donner des coups de doigts dans le dos, pour soigner sa calvicie grimpante. Puis, sans crier gare, il poursuivi son train-train, faisant des noeuds avec mes phalanges d'oreilles, me rinçant les yeux de temps à autre à l'aide de revues aquatiques gondolées. J'étais ébahi, médusé, consterné et noué. Je ressemblais à un pretzeloïde, sans le sel, bien entendu. En un mot, je me sentais déjà mieux. Il me proposa aussi de pratiquer sur moi le tir-à-la-fléchette-d'argile, communément appelé accupuncture-à-la-volée (selon Édouard Carpentier, le célèbre animateur luttesque). Il sorti donc, sourire à son "visage" aidant, sa panoplie d'aiguilles amoureusement entrelâçées, un marqueur rouge indélébile et incrétiné, et un carnet, pour compter les points.

Le tournoi commença. Pour introduire son sadisme atavique et bedonnant, donc pour commencer en beauté, il me lança trois aiguilles consécutivement pointues entre les orteils et les doigts. Étrangement, cela me fit plus de mal que de peur. Je compris alors le pourquoi et le comment des diplômes de l'École Nationale de Tir à l'Arc sur son mur de salle de bain, près des cactus moribonds non-rubicons, pompons. Après huit rounds, j'étais encore étendu sur la table, ventre bas et orteils dans les oreilles, mais le traitement bénéfiquement douloureux avait cessé; en fait, trop brusquement quoi que la cause de cet arrêt du mutilation légale sur ma propre personne (ou du moins je l'étais en entrant ici ou là tous à l'heure) soit volontaire. Je regardai le spécialiste en torture Nazi, et il me dit:

- Continu seul, j'ai mal au bras...


Juin 1996