Le Shah contre-attaque
Par Alain Cloutier

Le chat, animal adoré par les égyptiens, cajolé par les européen et mariné par les chinois, est à mes pieds. Il ronronne doucement et langoureusement, espérant trouver en moi le soupçon de zoophilie nécessaire pour lui apporter son repas quotidien: trois croissant, un café bien vert et le "Globe and Mail". Les chats sont, de par leur nature intime, paresseux, cajoleurs et enjoués. Le mien est tout autre: cultivé comme pas un, il possède sa propre bibliothèque dans le salon, attenante à sa collection d'estampes pakistanaises. Entreprenant comme un jeune homme ayant bu un cocktail aux hormones, mon chat dirige une firme de gestion de l'information confidentielle et intime sur tous et chacun. De plus, son pelage est coté à la bourse de New York et de Tokyo. Peut-être trouver-vous cela étrange? Vous comprendrez sûrement quand je vous dirai que ce n'est pas un chat ordinaire, commun, habituel; c'est un chat télécommandé.

Le fait, pour un être humain, de posséder des ramifications organisationnelles extérieures à son enveloppe charnelle n'est pas étrange en lui-même. Il serait même justifié dans la mesure où cette procréation artificielle centralisé lui permettrait une plus grande efficacité. Un cerveau débordant de facéties toutes plus visqueuses les unes que les autres est à même de comprendre, puis d'entamer un tel processus d'optimisation de ces capacité cognitives et absurdes.

Dès que mon chat, Thul'benezagerti, entend et assimile pleinement le sens du mot "absurde", il sursaute sur place, tourbillonne, surchauffe et explose dans le salon, couvrant ainsi les murs et la moquette d'une épaisse couche d'insalubrité. Et voilà, résultat absurde de paroles non pesées, non-peintes et non-vernies. Une fois de plus, le mot "absurde" produit son effet dévastateur et mortel. Le téléphone-girafe de style grégorien (une autre de mes nombreuses ramifications) se désagrège, pixel par pixel, jusqu'à ce que dissolution s'ensuive.

Je sort de chez-moi en criant ma liste d'épicerie à tue-tête, prétextant l'anorexie. Un patient me heurte de plein fouet d'une de ses ramifications (sous forme d'une BMW) et me fait valser, puis fox-trotter dans une bordure contenant entre autre de la neige, du calcium et des sacs de plastique pleins de pâte de tomate. Je me vautre alors malgré moi dans cette brouhaha sordide. Moi qui aime le confort des idées préconçues, du conformisme le plus pur, je suis servi. C'est bien ma journée: le réveil matin me harcèle, je le traîne en cours et perd ma cause, le chat et le téléphone explosent consécutivement dans le salon, et maintenant je me retrouve à parler seul. Quel monde! Une ombre poisseuse lèche le sol, se perd dans les ténèbres et d'un bond disparaît. Mes yeux exercés aux hiéroglyphes menaçants des gérants de banque ont cependant eu le temps d'identifier le sombre (comment faire autrement, pour une ombre?): le chat fusionné au téléphone-girafe, le cauchemar de petits et des grands...


Avril 1996