Nuit d'Halloween
Par Alain Cloutier

La fenêtre s'ouvrit doucement, laissant parvenir à mes oreilles d'adulte la délicieuse musique d'enfants s'amusant à se crier des noms. Mes yeux avaient peine à distinguer les formes costumées, enrubannées, encapuchonnées et, si j'ose m'exprimer ainsi, déguisées. Tous de petites taches claires sur le fond sombre du pavé mouillé, me dis-je d'une oreille surprise. Plusieurs fois, je me suis demandé ce que ce que je ressentirais si j'étais dans leurs costumes, les enfants n'étant pas dans ceux-ci, bien sûr!

Plongé dans mes réflexions comme on plonge une biscotte de mépris dans un bol de crème d'injure, je n'entendis que fort peu le grésillement au bas de l'escalier. Je me retournai, plissai les yeux, et baissai la tête avec un bruit caractéristique des robots les plus modernes. Puis, je m'élançai et déboulai lentement l'escalier, espérant y trouver quelconque visiteur sur lesquels m'arrêter. Ne trouvant point de butoirs sur lesquels m'échoir et étant pris d'une pressante envie d'assouvir mes plus bas instints liquéfiés, je fis un détour dans la salle de bain. Puis, je repris ma chute de plus belle, rebondissant et tourbillonnant sur tous ce que je trouvai sur mon passage. Trois étages et deux salles de bain plus bas, je capturai mon deuxième souffle en criant à plein poumons le nom de mon équipe de pétanque favorite.

Ne laissant pas au congélateur double le temps de se remettre de sa collision avec son tibia gauche, je me relevai tel un pape n'aimant pas le goût de l'asphalte. Si j'avais eu de l'imagination à cet époque, je me serais sur le champs de blé déguisé en blessé, mais l'idée de me costumer en ce que j'étais déjà ne me plaisait guère. J'optai donc pour un costume plus approprié pour la bonne marche de ce récit: le sac vert.

J'avais tiré cette idée d'une ancienne légende scandinave selon laquelle un démon à la longue chevelure blonde s'était épris d'un char à vidange tiré par des chevaux également à la longue chevelure (à la différence près que ces derniers étaient verts). Imaginatif et amoureux au possible, et au surplus doté du sens pratique d'une salade césar, il pensa à un subterfuge pour approcher l'être tant convoité. Il voulu se déguiser en sac vert. Bien mal lui en pris, car comme nous savons tous, une salade césar ne se déguise jamais en sac vert. Le démon blond essaya tant bien que mal (surtout mal) d'usurper l'identité de ses prétendus futurs beaux-frères. Ayant failli à sa tâche de façon spectaculaire et mémorable, il alla demander conseil au Bart Simpson de la ribambelle diabolique: le démon-aux-cheveux-bruns-blonds-un-peu-moins-longs, son frère. Voyant d'emblée l'ampleur de la catastrophe visuelle, il lui conseilla subrepticement de rester à la maison, sous son lit, et de ne plus jamais montrer son visage à quiconque, plus jamais. Revenant à moi après ces fabulations fabuleuses enrobés de kilos malsains, je me relevai, pour montrer à tous, même si j'étais seul, que j'étais digne du signe de feu, la licorne étant parti déjeuner.

Le congélateur, mécontent que j'appartienne au même signe astrologique que lui (Kelvinator ascendant IGA), me proposa, puis me propulsa à travers l'évier de la cuisine. En deux secondes, je fus hors de la maison et hors de moi. Je remontai lui écrire ma façon de penser à lui dire ce que je pense à lui écrire. Non mais! Plus insolent que cela, je n'ai jamais vu, du moins pas à l'ouest de la salle de bain. Retroussant mes manches, léchant le ciel de ces hardies gouttes de pluie, je volai en direction de l'escalier franc-colimaçon.


Octobre 1993