La proie
Par Alain Cloutier

Il s'avance, tranquillement, dans la ruelle sombre. Il cherche une proie. Il pleut et ses vêtements sont trempés; mais il s'en fout. Prisonnier de son état d'âme; enveloppé dans son blouson de cuir, il est comme une machine à tuer.

Soudain, ses sens de préateur perçoivent une silhouette dans la pénombre glacée. Un homme d'une quarantaine d'année s'approche de lui. Cet homme ne sait pas que la mort l'attend; il marche sous la pluie battante, les mains dans les poches, en ne se doutant de rien. Quand les deux hommes se croisent, ils lèvent les yeux et leurs regards se croisent, froids comme la nuit.

Ils se croisent et s'éloignent sans histoire. L'homme continue à écouter le bruit de ses pas, ne sachant pas que c'est pour lui un requiem. Cinq minutes plus tard, l'homme dans la quarantaine croise un autre type. Il est surpris de lui voir le même regard meurtrier que le jeune homme de tout à l'heure...

Cette fois aussi, même scénario. ArrivéÀ chez lui, à sa petite maison de banlieue, il s'affaire à ouvrir sa porte quand un grand fracas le fait sursauter. Il comprend tout de suite la provenance de ce bruit aussi bref qu'infernal. Il tourne la tête et regarde en direction de sa fenêtre de salon. C'était le bruit produit par quelque chose qui traverse une fenêtre. Il laisse ses clés dans la serrure et s'approche de l'objet, ou plutôt, vu de près, du corps ensanglanté. Dans un état frôlant l'arrêt cardiaque, il reconnaît le visage mutilé. C'est le sien...

Alors que la mort s'empare de lui, il perçoit un dernier détail, ajoutant au désespoir: le rire machiavélique d'un jeune homme...


Février 1990