Une autre nuit
Par Alain Cloutier

Ces lumières, dehors, me rendent fou. Pourquoi ne s'éteignent-elles jamais? Je peux entendre le grésillement assourdissant émanant de chacune d'elles. Cette ville, la nuit, est un atroce cauchemar. Tant de vacarme, tant de lumière... Je ne pourrais jamais dormir avec toute cette lumière... et cette chaleur suffocante. L'air est trop chaud. Et beaucoup trop humide. Mon lit est trempé; jamais je ne pourrais fermer l'oeil. Et c'est la même chose à toutes les nuits. Ils savent que lorsque je ne dors pas, je me mets en colère. Ils le font tous exprès. J'ai trop chaud et j'ai sommeil. Jamais je n'aurais dû louer cet appartement. Jamais. Les voisins écoutent à ma porte, retiennent mon courrier, et empêchent mes enfants de venir me voir. Je hais ces voisins. Depuis des années, j'essaie de dormir. Mais ils m'en empêchent. Ils crient des prénoms à tue-tête, et ce, toutes les nuits.

J'ai beaucoup trop chaud. Et on dirait que c'est pire sous cette ampoule rouge. Et ce bruit! Ces gouttes qu'ils envoient dans mon robinet, une à une, pour me rendre fou. Ils me punissent. Mais ce n'était pas ma faute. Jamais je n'aurais dû les suivre. J'aurais dû les laisser dans le parc où ils jouaient. Elle était si belle avec sa robe en dentelle. Et lui, avec son chandail bleu, ou rouge... Mes souvenirs sont un peu confus. Elle n'aurait pas dû être avec eux. C'est impardonnable. Je savais qu'elle voulait me punir, mais je fus plus rapide qu'elle. Je me souviens de sa tête blonde, de ses boucles rouges, de son tricycle, de ses cris. Elle voulait me punir, je le sais. Ils ont tous voulus me punir. Jamais je n'aurais dû sortir de chez‑moi; jamais. Je déteste les cris d'enfants; ils m'empêchent de dormir. Je déteste le sang; ils en mettent partout. Je veux seulement dormir. Ne pourraient-ils pas se taire une fois pour toutes. Ils veulent me rendre fou. En plus, ils se cachent. Ils crient et se cachent. Jamais je ne peux les voir, jamais. C'est ma punition. Ils m'empêchent de dormir en criant leur prénom et je ne peux jamais les voir. Taisez-vous donc! Ils sont des centaines à crier. Leurs parents aussi criaient, mais maintenant, ils sont sages; ils ne crient plus, eux.

Il fait de plus en plus chaud. Il faut que j'aille me rafraîchir. Le robinet. Les gouttes. Encore! Là, ç'en est trop! Ils ne vont pas s'en tirer cette fois. Je sais, ce ne sont que des paroles. Mais ce n'est pas juste; ils me torturent et je ne peux rien faire. Ils ne font que venir dans ma chambre, ils crient, et puis s'enfuient en courant. Pourquoi peuvent-ils passer au travers des barreaux et moi pas...


Décembre 1993