Le crayon et la feuille
Par Alain Cloutier

Seule en cette vile obscurité, perdue dans cette abjecte froideur, j'attendais l'instant suprême où mon compagnon serait près de moi. Un doute s'infiltrai en moi: s'il ne venait pas, s'il m'avait tout bonnement oubliée! Repoussant d'un souffle confiant ces sombres pensées, je songeai aux innombrables moments de volupté passés ensemble, à le sentir près de moi, à goûter la plénitude de sa présence. Tant de souvenirs, tant de bonheur...

Une rumeur me parvint et déclencha aussitôt en moi une onde plaisistantielle, me transportant dans un lieu divin où deux être seulement sont admis: lui et moi. Le sentant approcher, les pores de ma peau s'ouvrèrent, allant au devant de ce contact tant attendu.

À cet instant, plus que quelques centimètres nous séparaient, mais la distance me semblait encore affolante; je le voulais sur moi, en moi, au plus profond de mon être. Tremblante, gémissante, je me sentis subjuguée par un état de pureté virginale, comme lors de notre premier contact, et ce malgré les milliers de caresses qui nous séparaient de ce suprême instant.

Je sentis avec volupté son organe créateur errer amoureusement sur ma peau nue, s'insinuer dans mon épiderme aux aléas de sa fantaisie libératrice. Je m'abandonnai à sa touche magique, à son doigté subtil d'amant. On eut dit qu'il lisait en moi comme sur un pli d'intimes confidences, qu'il recréait la magie du premier enlacement. Il traça avec lascivité d'étranges arabesques, me faisant frémir au gré de son ardent désir pour mon être. Sa sensuelle valse charnelle m'enflamma davantage à chaque caresse. Le temps n'avait pas d'emprise sur notre mutualisme amoureux.

Tellement de passions, de complicité, de complémentarité, d'unicité; ne serait‑ce qu'un rêve? Pourtant, le sublime contact persistait et s'amplifiait, rayonnant en moi comme un flux d'énergie salvatrice. Il m'apportait douceur, réconfort, chaleur; le savoir pensant à moi me faisait rayonner, m'enivrait d'inexprimables sensations. Obnubilée par tant de délicatesse, par tant d'égards et de respect pour moi, je me sentis complète, faisant partie du Tout, conservant mon univers florissant et le joignant à celui de l'être que j'ai choisi.

Je n'en pus plus; il fut si attentionné, si passionné, sa pointe turgide me faisait tellement de bien... Le paroxysme de la jouissance se fit ressentir lors de l'accomplissement langoureux du paraphe. Le frémissement incontrôlable qui m'envahit alors prendra un temps se dissiper, mais je le savourerai plus longtemps encore.

Nous faisons équipe dans la vie, nous sommes des entités distinctes ayant chacune ses propriétés, mais nous avons besoin de l'autre pour grandir et nous développer pleinement. Nous faisons chacun notre bout de chemin, donnons le meilleur de nous-même, et ce qu'il manque, l'autre le complète de son univers coloré et invitant. Ensemble, nous éveillons le potentiel endormi, construisons un monde; celui des fantaisies de l'écrivain qui nous emplois, car nous sommes les outils voués à son dessein créateur...


Novembre 1991